La Planète Revisitée : Expéditions Guyane Française

Presentation

Mission marine

Une manne de biodiversité sous-étudiée

 

La richesse des fonds marins de la Papouasie-Nouvelle-Guinée n'a rien à envier à celle de ses forêts. Et pour cause : l'île est située au cœur du Triangle de Corail, la région de la planète abritant la plus grande biodiversité marine. Dans cette zone qui s'étend des Philippines à l'Indonésie vivent 76 % des espèces de coraux constructeurs de récifs de la planète. Sa richesse est telle qu'un seul hectare du Triangle de Corail peut contenir davantage de coraux que l'ensemble des Caraïbes, voire que l'Océan Atlantique tout entier ! Ils constituent des habitats de choix pour une multitude d'espèces marines, dont une grande partie demeurent aujourd'hui encore inconnues.

Malgré cette surabondance, étonnamment, la plupart des recherches sur la biodiversité marine concernent des régions situées hors du Triangle de Corail. Ainsi, entre 2001 et 2010, les deux pays où ont été découvertes le plus d'espèces marines furent l'Australie et du Japon, pourtant bien plus pauvres en espèces. La raison ? À défaut de posséder des écosystèmes marins aussi riches que ceux des pays du Triangle de Corail, le Japon et l'Australie possèdent des programmes de recherche et des institutions académiques en plus grand nombre...

Ce nouveau volet du programme d'expéditions « La Planète Revisité » permettra de recueillir un maximum de données afin de compléter les connaissances sur la biodiversité de cette zone extrêmement riche et, paradoxalement, sous-étudiée. L'expédition sera aussi l'occasion de comparer différentes méthodologies de recherche. Enfin, les résultats obtenus seront utilisés pour tenter de répondre à la question qui taraude les naturalistes depuis près de 200 ans : combien d'espèces vivantes habitent notre planète ?

 

Fond marin

Fond marin

Madang - Papouasie-Nouvelle-Guinée - Fond caractéristique sur les pentes externes du lagon de Madang. On y trouve une grande variété de coraux, gorgones, alcyonaires en bonne santé [© Xavier Desmier / MNHN / PNI / IRD].

 

Un problème de taille

 

Chaque année, 1600 à 1700 nouvelles espèces marines sont découvertes, et s'ajoutent aux quelques 235 000 déjà répertoriées. La moitié d'entre elles sont représentées par des mollusques et des crustacés. Pourtant, la majeure partie des programmes de recherche et des initiatives de conservation concernent la grande faune des océans (tortues, mammifères marins, poissons, coraux constructeurs de récifs...), qui ne représentent que 8 % de la biodiversité marine... Ce déséquilibre s'explique, d'une part, par le « charisme » des grands animaux. Il est plus facile d'intéresser le public et de lever des fonds pour la sauvegarde des tortues marines ou des cétacés que pour l'étude des microgastéropodes benthiques. La mégafaune, d'autre part, est plus facile à étudier que la microfaune, surtout lorsqu'on s'intéresse à des régions aussi riches en biodiversité que le Triangle de Corail. En effet, dans les écosystèmes complexes, les espèces sont généralement petites et rares. En conséquence, le nombre d'échantillons collectés au cours d'une mission d'exploration est habituellement faramineux, ce qui implique un énorme travail de tri et, par la suite, d'analyse des données par les taxonomistes. Des analyses qui ne peuvent pas toujours être menées à leur terme car quelle que soit l'intensité de l'échantillonnage, il arrive souvent que des espèces ne soient représentées que par un ou deux spécimens, ce qui ne suffit pas systématiquement à déterminer leur nouveauté. Enfin, malheureusement, le manque d'expertise constitue parfois un ultime handicap : pour certains groupes rares, il n'existe tout simplement pas de spécialiste. Dans ce cas, les spécimens sont intégrés aux collections des muséums en attendant que quelqu'un, un jour, vienne les étudier.

Pour s'affranchir d'une partie de ces difficultés, il est nécessaire de changer d'échelle et de mettre en place des inventaires massifs, fédérant des experts du monde entier, à l'image de ceux menés à Panglao, dans les Philippines (en 2004), sur l'île d'Espiritu Santo, dans le Vanuatu (en 2006), ou encore dans le grand sud malgache (en 2010). Ce type de déploiement de moyens permet d'obtenir des résultats incomparables : à Panglao, en 7 semaines de travail portant sur une zone de 15 000 hectares, 1600 espèces de crustacés décapodes (crabes, crevettes etc.) et 5000 à 6000 espèces de mollusques ont été collectées. Parmi celles-ci, plusieurs centaines étaient inconnues. En comparaison, l'ensemble des mers européennes, soit 800 millions d'hectares, ne contiennent que 672 espèces de crustacés décapodes et 3450 espèces de mollusques...  

Collecte d'échantillons d'algues

Collecte d'échantillons d'algues

 

Madang - Papouasie-Nouvelle-Guinée - Collecte d'échantillons d'algues sur la zone infralittorale du lagon de Madang [© Xavier Desmier / MNHN / PNI / IRD].

 

 

De multiples objectifs

 

Chaque nouvelle expédition naturaliste dans le Triangle de Corail est l'occasion de découvrir des espèces inconnues, et celle-ci ne fera pas exception : selon les estimations, environ 30 % des invertébrés benthiques qui seront rapportés appartiendront probablement à de nouvelles espèces. De nombreux habitats jusqu'ici peu explorés seront ciblés, tels que les lacs marins des environs de Madang ou les bois coulés, et une attention particulière sera portée aux interactions entre invertébrés, qu'il s'agisse de parasitisme, de commensalisme ou d'autre types d'associations.

 

Les spécimens et les données collectés par les chercheurs permettront également de mieux évaluer le nombre total d'espèces marines. Aujourd'hui, on estime qu'il est compris entre 400 000 et plusieurs millions. Cet intervalle très large s'explique par l'utilisation de différentes méthodes pour mesurer la biodiversité. En effet, selon leur domaine de recherche, les spécialistes des sciences marines ne travaillent pas tous aux mêmes échelles, ni sur les mêmes organismes indicateurs, et ils n'analysent pas leurs données de la même façon. L'expédition en Papouasie-Nouvelle-Guinée sera l'occasion de comparer trois approches sur le même site géographique :

 

- Zoologues et botanistes s'attacheront à inventorier les espèces de la façon la plus exhaustive possible, en comptant le maximum de spécimen ;

- Les écologues utiliseront des extrapolations basées sur des expérimentations standardisées ;

- Enfin des évaluations rapides de la biodiversité seront menées en se basant sur quelques groupes d'organismes indicateurs (poissons, coraux, palétuviers...), une pratique courante des biologistes de la conservation.

 

Les données qui seront obtenues suite à ces travaux alimenteront les bases de données internationales sur les organismes tropicaux. À l'heure actuelle, très peu d'informations existent sur les espèces vivant dans les profondeurs de ces régions : la campagne d'exploration hauturière aura donc un grand intérêt.

Grâce aux technologies de géolocalisation (GPS), des cartes très précises des habitats coralliens seront établies dans les mois suivant l'expédition et mises à disposition de la communauté scientifique ainsi que des organisations de conservation, des décideurs politiques ou de toute personne ayant un intérêt pour ce type d'outil.

Les spécimens collectés iront enrichir les collections de l'université de Papouasie-Nouvelle-Guinée, du Muséum national d'Histoire naturelle et de l'IRD.

 

Enfin, de nombreux articles scientifiques (probablement des centaines !) seront publiés au cours des années suivant l'expédition, dans des domaines aussi variés que la description de la faune et de la flore, l'évaluation des méthodologies de travail, la protection des espèces... Ces connaissances seront également vulgarisées et diffusées afin de sensibiliser le plus grand nombre aux problématiques environnementales. Ainsi, sur le modèle de ce qui a été fait après l'expédition Santo 2006, un livre sur la vie marine de la Mer de Bismarck sera publié quelques années après la fin de l'expédition.

 

Bien que ne constituant pas une étude d'impact, les données sur les habitats marins rapportées par l'expédition pourront aussi être utilisées comme point de départ pour évaluer les conséquences des projets industriels prévus dans la région de Madang et la Baie de l'Astrolabe. Parmi ceux-ci, la construction du Parc marin industriel de Madang qui consistera en l'établissement, dans le nord du lagon, de conserveries, et deux projets de companies minières visant à des implantations offshore.